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Interview avec Anna Jardin Leveque, HandiCall

Rédigé par Jana Marija Andjelkovic | Sep 16, 2025 6:00:00 AM

DEALCOCKPIT : Madame Jardin Leveque, revenons au début. HandiCall n’est pas une création pure, mais une reprise. Pouvez-vous nous raconter comment l’aventure a commencé ?

Anna Jardin Leveque : HandiCall a été fondée en 2004 par deux personnes qui avaient une idée novatrice : une entreprise qui intègre des personnes en situation de handicap dans la relation client. Historiquement, les entreprises adaptées étaient plutôt dans les métiers de la sous-traitance industrielle ou de la maintenance, HandiCall ciblait un domaine très stratégique pour les entreprises.

Nous l’avons reprise en redressement judiciaire en 2006 avec mon père. Après une formation en économie et finance internationale et une très courte expérience dans la banque qui ne m'a pas du tout plu, mon père entrepreneur m’a convaincu de reprendre l’entreprise avec lui.

À l’époque j’étais en congé maternité de mon troisième enfant, je vivais dans l’Essonne et cette société était à Bordeaux. Il n’y avait pas encore le TGV en 02h00, c'était l'avion à 06h50 le matin ; ce n’était donc pas une évidence pour moi.

DC : Qu'est-ce qui vous a convaincu ?

Anna J.L. : L’utilité sociale : intégrer des personnes en situation de handicap.

Je n’y connaissais rien, et j’avais tous les a priori sur le handicap qui ne rimait pas forcément avec performance. Mais en rencontrant l’équipe j’ai découvert des gens qui avaient simplement besoin de reconstruire un projet professionnel. Je me suis retrouvée face à des personnes comme moi mais qui ne pouvaient plus exercer leur métier principal à cause de leur situation de handicap. Comme une infirmière qui ne peut plus porter un malade et a donc besoin d'apprendre un nouveau métier.
Handicap, diversité et performance ne s’opposent pas. Nous avons prouvé l’inverse : une fragilité individuelle peut en fait être une force collective.

DC : Quels ont été les premiers défis à relever après cette reprise ?

Anna J.L. : Il fallait sauver l’entreprise, rassurer les anciens clients, attirer les nouveaux. Au début, le mot « commerce » était presque tabou car nous étions dans un secteur social. Mais sans clients, il n’y a pas de projet social. Nous avons travaillé sur la qualité et la professionnalisation, ouvert de nouveaux sites (Tours, Chartres, Auvergne), et reconstruit la confiance.

Heureusement, au niveau familial, il n’y avait pas de complications. Avec mon père, on s'est toujours bien réparti les rôles et c’était un véritable plaisir de travailler ensemble pendant 15 ans.

DC : Quels moments charnières ont marqué le développement avant la cession ?

Anna J.L. : Il y en a eu plusieurs. Le tournant majeur fut en 2019, lorsque nous avions eu une offre de rachat, mais je n’avais pas envie de vendre et j’avais encore envie de développer. Je suis donc devenue l’unique actionnaire car j’ai racheté toutes les parts familiales.

À ce moment-là, nous mesurions 5 M€ de CA avec plus de 200 salariés. Parallèlement j’avais fait une étude sur notre impact social avec France Active, financeur de l'économie sociale et solidaire qui nous accompagnait depuis des années : plus de 8 personnes sur 10 retrouvaient une vie meilleure grâce à leur retour à l’emploi.

Je me suis rendu compte de la chance que nous avions d’avoir un business qui, à chaque fois que l’on développe, a un impact positif. Cela m’a poussée à accélérer avec le plan « Nous 2024 » ayant pour objectif de doubler en 5 ans.

Et puis, il y a eu le Covid. Grâce à notre modèle déjà flexible, nous étions prêts pour le télétravail. En trois jours, toute l’entreprise a basculé en travail à distance, sans aucune interruption. Ce qui semblait être une fragilité, à savoir la présence de salariés vulnérables est devenue une force : nous savions nous adapter vite, protéger nos équipes et rester performants. Cette période a forgé notre culture et renforcé notre ambition.

DC : Vous avez véritablement montré qu’il est possible de concilier impact social et croissance économique. Était-ce un objectif dès le départ ?

Anna J.L. : Oui, clairement. Nous avons obtenu la labellisation RSE (ISO 26000) pour formaliser ce que nous faisions déjà : conjuguer qualité économique, excellence opérationnelle et responsabilité sociale. Pour moi, une entreprise peut et doit être un acteur positif pour la société, pas uniquement une machine à produire du chiffre.

DC : À quel moment naît l’idée de vendre l’entreprise ?

Anna J.L. : En 2024, après 20 ans, je revenais de vacances, épuisée, sans énergie. Je venais d’avoir 50 ans, et j’ai senti que je n’avais plus l’énergie pour écrire le chapitre suivant. Notre modèle reste dépendant de 30 % de subventions publiques. Et puis, j’avais le sentiment que nous avions accompli ce que nous nous étions promis. C’était la fin d’un cycle, le moment de transmettre à quelqu’un qui aurait la vision et l’énergie pour continuer.

Lors d’un séminaire stratégique avec tout le codir, on s’était dit : la performance, c’est important, mais la robustesse l’est tout autant. Et pourtant, pour une PME, c’est difficile : même 6M € de résultat, ce qui peut paraître beaucoup, est à peine un mois de salaires, en réalité. Même si l’on considère que nous avons réussi notre projet « Nous 2024 », cela ne veut pas dire que ça continuera.

Mon plus grand enjeu était donc d’assurer la pérennité d’HandiCall. Puisque nous sommes une entreprise familiale et mon fils travaillait déjà avec nous, j’ai réfléchi à tout lui transmettre. Mais finalement, j’ai décidé que ce ne serait pas véritablement un cadeau à lui faire – je n’aurais jamais pu me détacher mentalement.

Alors, je voulais trouver un repreneur qui avait des vraies ambitions pour HandiCall, à la fois pour assurer sa pérennité, mais aussi pour continuer à le développer.

DC : Comment se déroule concrètement la mise en vente ?

Anna J.L. : J’ai fait appel à un intermédiaire de confiance. Je me suis tournée vers Alexandre Aidoudi qui, cinq ans plus tôt, nous avait mis en relation avec un acheteur potentiel. Il m’a rassuré que c’était le bon moment pour vendre. Nous avons donc créé le dossier ensemble, il s’occupait de la présentation et du ciblage d’acquéreurs potentiels, et rapidement nous avons eu une première et même une deuxième LOI.
Pour moi, il y avait trois éléments importants : Le projet proposé pour la suite, le fait que ce soit un(e) entrepreneur(e), et la valorisation, évidemment.

La première offre venait d’un entrepreneur avec une société plus petite que la nôtre, également dans le domaine du centre d’appels mais un peu différent de nous.

Parallèlement, j’étais approché par Télétech, une entité qui fait de la relation client au sein du groupe d’assurance, Finare. Depuis une dizaine d’années, ils reprennent des sociétés dans le domaine du centre d'appel pour leurs besoins propres, ainsi que pour la prestation. En étudiant leurs opportunités M&A, ils étaient tombés sur HandiCall qui était l’un de deux acteurs du domaine à avoir fait la plus grosse croissance.

Pourtant pour moi, l’identité de Télétech n’était pas compatible avec notre raison d’être. Nous avons donc commencé le process avec le premier acheteur, mais nous sommes rapidement rendu compte qu’il était peu réactif et l’opportunité peu solide. Il jouait le mort, partait en vacances pendant des semaines et nous n’étions pas rassurés par la structuration de sa société. L’histoire s’arrêtait là.

Immédiatement après, Finare revenait vers nous avec une offre mieux-disante ; cette fois-ci d’être racheté directement par eux. À partir de ce moment, tout s’est passé très vite : nous avons signé le LOI fin avril, démarré la due diligence avec Finare qui démontraient rapidement leur professionalisme et leur pertinence en tant qu’acheteur et nous avons closé le 9 juillet avec 100 % payé dès la signature, sans conditions suspensives. C’était important pour moi : pas d’ambiguïté, pas de complexité inutile.

DC : Au-delà de la vente, qu’est-ce qui, selon vous, a été déterminant pour faire grandir HandiCall ?

Anna J.L. : Trois choses : la qualité, toujours. La professionnalisation et le professionnalisme, avec des processus solides. Et enfin la culture d’entreprise : nous avons valorisé la diversité, transformé la fragilité en force collective. Cela a créé une identité forte, qui dépasse les individus.

DC : Cette période de cession est aussi un marathon émotionnel. Comment l’avez-vous vécue ?

Anna J.L. : Ce fut une période très intense pour moi : j’ai beaucoup pleuré. J’ai reçu des témoignages bouleversants de collaborateurs disant que HandiCall leur avait sauvé la vie, et que l’expérience qu’ils ont vecu chez HandiCall était incroyable. Notre devise, « l’humain fait la différence » n’est pas qu’un slogan et prenait ainsi tout son sens.

J’étais extrêmement touchée. Lorsqu’on embauche des personnes fragiles, ce n’est pas seulement leur donner un travail, c’est leur redonner un lien social, un quotidien, un sentiment d’utilité et de confiance. Et ça, c’est énorme.

DC : Pourquoi avoir choisi DealCockpit pour gérer la data room et quel est votre retour d’expérience ?

Anna J.L. : C’est Alexandre qui m’a donné vos coordonnées et la réactivité du côté DealCockpit était étonnante. Une semaine après, la data room était ouverte, interface simple et fluide, accès faciles, aucune question technique côté acquéreur.

Même lorsque le changement de candidats, il m'a suffi de fermer les accès avec le premier et les rouvrir avec le deuxième. La phase due diligence a été entièrement menée en interne chez Finare sans aucune friction, ce qui a permis de se concentrer sur l’essentiel.

DC : Quels conseils donneriez-vous à un dirigeant qui envisage de vendre son entreprise ?

Anna J.L. : D’abord de ne pas rester seul. J’ai beaucoup échangé avec des pairs au CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) : cela permet de partager ses doutes, de prendre du recul. Ce réseau m’a beaucoup enrichi, en me challengeant et en m’aidant finalement dans ma prise de décision.

Le deuxième point, c’est de choisir le bon intermédiaire qui est aligné avec vos enjeux et pas uniquement axé sur la valorisation financière. J’ai choisi Alexandre Aidoudi, et je n’ai aucun regret. Nous étions très complémentaires et faisions une excellente équipe. C’est essentiel pour que la transition se fasse dans la confiance.

Dernièrement, rester soi-même et rester proche à ses équipes. J’ai pris le temps de prévenir individuellement chacune des personnes du comité de direction puisqu’il était important pour moi de leur expliquer mon « pourquoi ».
À la fois, une cession bouge très rapidement, et à la fois il faut prendre le temps.

DC : Quels sont vos projets et envies désormais ?

Anna J.L. : Je souhaite continuer à avoir de l’impact, mais différemment. J’aimerais rejoindre les conseils d’administration pour porter les sujets d’inclusion et de diversité je souhaite aussi m’investir dans des projets artistiques, pas comme artiste mais pour soutenir la création et le beau. Après 20 ans d’entrepreneuriat, j’ai envie de contribuer autrement, avec sens et liberté.