Interview : Frédéric Bensignor, Feniix
Frédéric Bensignor nous dévoile son secret pour monter et développer une entreprise en seulement un an.
Dès ses débuts au sein des Big 4 jusqu’à son expédition dans l’Himalaya et la création de son cabinet de conseil, l'entrepreneure nous partage son parcours et ses conseils en tant que manager de transition.
DEALCOCKPIT : Pouvez-vous vous présenter ?
Agnès Courtade : Je suis manager de transition indépendante depuis trois ans et demi, dans le cabinet Akordia, que j’ai co-fondé. Depuis cette année je le dirige seule. J’ai créé Akordia après 15 ans d'expériences dans divers rôles financiers. D’abord, une dizaine d’années en restructuring chez Deloitte et EY, puis en tant que CFO en entreprise et ensuite en tant que directrice d'investissement pour un actionnaire familial français. Cet investisseur, actionnaire majoritaire, m’a confié un rôle à la fois d’actionnaire et d’accompagnement des entrepreneurs, ce qui m’a amené finalement à me mettre à mon compte pour accompagner des sociétés dans des situations complexes.
DC : Vos débuts étaient dans le restructuring. Comment avez-vous choisi ce métier ?
Agnès C. : Je faisais mes études en finance et entrepreneuriat à Dauphine puis l’EM Lyon. Mais je ne me voyais pas travailler en banque ni en contrôle de gestion.
À l’époque, un ami en stage chez EY m’a parlé du département de restructuring, qui combinait tout ce que je recherchais : du conseil pour des entrepreneurs, de la finance, du droit… J’ai décroché un stage chez Deloitte, au sein de l’équipe de Guillaume Cornu et son associé Philippe Héry en 2008.
A l’époque, ce métier était plutôt réservé aux profils seniors ; j’étais donc parmi les premiers jeunes recrutés et l’une des rares femmes de l’équipe.
J’ai embarqué dans cette aventure, d’abord chez Deloitte, puis chez EY, toujours avec la même équipe pendant presque 10 ans. Ameziane Abdat, un des directeurs, m’a pris sous son aile et est devenu mon mentor : c’est lui qui m’a tout appris. C’est un professionnel financier mais qui connaît également très bien le droit des entreprises en difficulté. Il travaillait souvent pour des sociétés familiales, ce qui également reliait ce que je recherchais : le côté humain du métier.
DC : Vous avez un parcours très varié en expériences. Que s’est-il passé après EY ?
Agnès C. : Nous sommes des urgentistes d’entreprise, un métier très exigeant qui rend difficile de trouver un équilibre pro-perso.
EY m’avait proposé de rentrer dans le parcours pour devenir associée, mais je n’arrivais plus à me projeter dans ce secteur au sein d’EY ni comme associée. J’ai eu, à ce moment-là, l’opportunité d’être directrice financière de Cop Copine. Je suis arrivée chez Cop Copine avec un directeur général pour restructurer l’entreprise, mais nous avions des désaccords avec les actionnaires fondateurs sur plusieurs points. L’aventure s’est donc arrêtée après six mois.
Fatiguée, j’ai fait le choix de faire une pause toute l’année 2018. Je suis notamment partie marcher dans l’Himalaya au Népal, puis en Corse pour prendre du temps et du recul... Sortant de cette période, j’ai fait un bilan de compétences avec Switch Collective. Le bilan faisait ressortir mon orientation vers un travail qui ait du sens. Pour moi, cela signifiait accompagner des projets et des équipes, les faire grandir et avoir un rôle de transmission et de pédagogie.
Chez EY, j’étais responsable du recrutement dans mon équipe et j’organisais des formations. Ce qui me fait me lever le matin, ce sont les hommes et les femmes avec qui je travaille, transmettre et apprendre. Mon dernier client d’EY, Emmanuel Deroude ancien CEO de TATI, travaillait alors pour Philippe Ginestet. Ils avaient investi dans une quinzaine d’entreprises et cherchaient un bras droit pour gérer le pôle avec Emmanuel. Ils avaient pour approche d’investir aux côtés d’entrepreneurs individuels porteurs de projets. Cela nous a permis d’accompagner des projets très variés pendant deux ans et demi, que ce soit de l’assurance, du coworking, des applications de jeux, du marketing digital, de la SilverTech, etc.
Nous soutenions des entreprises de toutes tailles, à différents stades de maturité, en phase de construction comme de croissance. Pendant la crise de COVID-19, nous avons aussi joué un rôle de protection pour certaines entreprises, ce qui a fait revenir mes reflexes du restructuring. Pour nous accompagner, nous avons recruté Alban Duchène, avec qui je travaillais chez EY et qui deviendra par la suite mon associé chez AKORDIA. Notre collaboration avec Philippe Ginestet s’est arrêtée en 2021.
Suite à toutes ces expériences que nous avions accumulées, nous nous sommes rendu compte avec Alban que nous adorions ce que nous faisions et que nos qualités étaient reconnues par les entrepreneurs. Nous avons donc décidé de nous mettre au service des entrepreneurs en créant AKORDIA.
DC : Il y a beaucoup d’acteurs en place. Quelle est votre marque de fabrique ?
Agnès C. : Dans notre métier, nous sommes jeunes : la plupart des managers de transition ont généralement 10 à 15 ans de plus que moi (j’ai 41 ans). Mon avantage est l’agilité. Grâce à mon expérience et mon bagage, je sais aussi bien parler aux avocats qu’aux actionnaires et à l’État qu’aux employés. Je sais mettre les mains dans le cambouis comme je sais raisonner sur des sujets stratégiques. J’ai la capacité à être agile au sein d’une entreprise et de rester sereine et synthétique dans des situations complexes qui est ma spécialité, avec une attention particulière sur l’humain.
Notre premier client était une petite société parisienne, Fruttini, qui a remis au goût du jour le citron et l’orange givrés. Puis, nous avons pris en charge un gros dossier qui nous a été amené par mes anciens patrons d’EY – le réseau c’est important – qui poussait mon nom pour la direction financière par interim de Pimkie, à l’époque en pleine restructuration. J’y suis partie pour une mission initiale de trois mois mais finalement j’y suis restée un an et demi, jusqu’à la cession de l’entreprise début 2023. J’ai accompagné les équipes et pris en main, en intérim, toute la direction financière, ainsi que les pôles logistique et transport. Depuis, j’enchaîne des missions différentes et plutôt longues en management de transition.
DC : Diriez-vous que c’étaient plutôt vos débuts de carrière au sein des Big 4 ou l’Himalaya qui était le fondement de ce que vous faites aujourd’hui ?
Agnès C. : Je pense que c’est un mélange de tout. Dans la vie, rien n’est noir ou blanc, c’est toujours gris. Mes expériences m’ont mené là où je suis aujourd’hui car j’ai réussi à trouver mon équilibre dans ce qui m’anime. Naturellement, cela vient avec un prix et avec des risques. Tout le monde n’est pas fait pour être entrepreneur : il faut aller chercher son chiffre, il faut être commercial, faire son administratif, sa comptabilité… Mais je le fais avec indépendance et liberté et cela me correspond très bien.
Quand j’ai quitté EY, je me suis demandé si je voulais continuer dans le conseil. Finalement, c’est un rôle qui me plaît bien aujourd’hui, surtout parce que je le fais avec ma propre marque, Akordia, donc avec ma façon de faire, mes valeurs et mon expertise.
La chance d’avoir été formé pendant 10 ans dans ces cabinets, dans cette équipe de Guillaume et Ameziane fut une précieuse école. J’ai tout appris avec eux et ils m’ont permis d’arriver là où je suis aujourd’hui. C’est également grâce à toutes les autres personnes que j’ai croisées pendant mon parcours, mais ces 10 ans avec eux étaient très structurants dans ce que je fais aujourd’hui et la façon dont je le fais.
DC : Comme vous disiez, tout le monde n’est pas fait pour être entrepreneur. Comment avez-vous su que c’était le bon chemin pour vous ?
Agnès C. : Quand j’ai terminé Dauphine, j’ai opté pour un Master spécialisé en entrepreneuriat à l’EM Lyon. J’avais identifié que je ne voulais pas me limiter qu’à la finance et j’ai un caractère très indépendant. Rentrer dans une grande organisation ou devenir contrôleur de gestion ne me correspondait pas. En restructuring, même dans un grand cabinet comme EY, avec ses codes et ses règles, je faisais partie d’une équipe très particulière où nous avions tous un grain de folie. C’est un univers à part : on nous appelait les « bucherons », un surnom assez symbolique
Quant à la création de mon entreprise, c’était simplement le bon timing. J’avais fait ma vie de salarié, j’arrivais à une certaine maturité et j’avais un réseau solide, ce qui est la clé pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Les planètes semblaient s’aligner pour me dire : « Tente-le car si tu ne le tentes pas maintenant, tu le regretteras toute ta vie. » Et ça a marché.
DC : Félicitations ! Quels types d’entreprises accompagnez-vous principalement ?
Agnès C. : Dans mon activité, j’accompagne surtout des entreprises en situation complexe. En parallèle, je m’investis dans des projets plus « coup de cœur » où j’aide des personnes à créer leurs sociétés ou je fais du coaching de dirigeant. Je les guide en leur posant les bonnes questions, en les aidant à structurer leur business plan, leur business model. C’est une démarche qui sort du cadre de mon métier principal, mais qui me nourrit.
DC : Y a-t-il des similarités face à ces différents enjeux ?
Agnès C. : Je travaille pour de nombreuses personnes qui ont monté leur société et qui n’ont pas forcément de connaissances financières ou juridiques. Les entrepreneurs ne sont pas toujours formés à la gestion d’entreprise, à la trésorerie, à la finance, ou même à lire un bilan et comprendre ce que leur raconte leur expert-comptable. Certains sujets restent très techniques et difficiles à expliquer. C’est l’un de mes gros combats : vulgariser la finance pour aider des entrepreneurs à comprendre leurs chiffres, leur bilan, etc car pour moi c’est aussi une clé dans la réussite d’un dirigeant. Mais aussi les accompagner dans le management de leurs équipes, ce qui est essentiel aussi, au-delà du produit et du client. Il faut avoir une vision à 360 degrés de son entreprise.
DC : Dans votre démarche, quel est l’élément indispensable pour que vos clients réussissent ?
Agnès C. : Lorsque j’accompagne des sociétés en difficulté, parfois j’arrive « très tard ». Le défi est de trouver la meilleure porte de sortie avec la bonne équipe, mais ce n’est pas garanti.
La clé est d’arriver à anticiper, ce qui n’est pas si facile que ça. Pour cela, il faut avoir du réseau, échanger et discuter, car ce sont souvent les regards extérieurs qui vous alertent et qui auront la capacité d’identifier des potentielles conséquences d’une décision auxquelles vous n’auriez pas pensé. Plus on est capable d’anticiper, plus les risques diminuent.
Ce qui est tout aussi important, c’est de rester calme malgré les situations de stress. J’ai beaucoup appris à ce sujet en travaillant chez Pimkie avec Philippe Favre, un spécialiste du retournement d’entreprise. Malgré la complexité de la situation, il ne rajoutait jamais de stress au stress. Il me disait toujours qu’il dormait bien – fait incroyable, vu les enjeux ! – mais il prenait les choses une par une, sans précipitation.
Dans ce métier, on ne peut pas tout sauver, mais on donne toujours le meilleur de nous-mêmes. S’énerver ne fait qu’ajouter du chaos et augmente le risque d’erreurs. Sur le dossier de Pimkie, nous travaillions peu les soirs ou les week-ends alors que la charge de travail était énorme et que les horaires extensibles faisaient parties de mes souvenirs de mes années « restructuring ». Et pourtant, le dossier a été mené à bien. J’ai donc appris que l’on peut y arriver aussi d’une façon calme et mesurée. Je garde cela toujours en tête.
DC : Quels sont les premiers signes auxquels un entrepreneur doit prêter attention pour savoir s’il a besoin d’un accompagnement externe ?
Agnès C. : Déjà, quand on perd de l’argent depuis des années, que l’EBITDA reste négatif et que la situation de trésorerie est parfois compliquée, ce sont des signaux clairs. Personnellement, je suis convaincue qu’il ne faut jamais rester seul. Un dirigeant se trouve souvent très seul à devoir mener sa barque : il doit tirer, amener du chiffre, gérer ses équipes, il est peut-être actionnaire de sa société : ce sont les règles du jeu, mais on n’est pas obligé de rester seul. Il est important de faire du réseau, de s’entourer et d’échanger avec des pairs.
Généralement, les experts-comptables sont les premiers conseils du dirigeant, quelle que soit la taille de l’entreprise. En fonction des situations, des prestations complémentaires d’expert peuvent être utiles. Certes, il y a un coût initial, mais bien souvent, dépenser de l’argent aujourd’hui évite parfois de plus gros problèmes demain.
DC : Quel rôle joue la digitalisation dans une opération bien menée ?
Agnès C. : Le digital est un sujet auquel je voudrais me former davantage. Je fais partie des personnes qui apprécient la performance des machines et de l’IA sur les modélisations financières mais préfèrent comprendre en profondeur les données. Je dois savoir d’où viennent les chiffres d’une entreprise au lieu d’avoir une boîte noire en face qui fait tout à ma place. Lorsque j’arrive dans une entreprise je vais vraiment dans le détail. Cela fait partie de mon travail et de ma logique de compréhension d’un dossier et j’ai plaisir à tout comprendre en profondeur.
DC : Vous utilisez DealCockpit et nous vous en remercions. Cela fait-il parti du même sujet selon vous ?
Agnès C. : Une data room est indispensable. Je suis entièrement favorable aux outils collaboratifs et facilitateurs. Leur avantage est que tout est au même endroit, les Q&A sont disponibles à tous, toutes les parties impliquées ont accès au même niveau d’information et il n’y a jamais de notion de lâche travail pour un client. Je ne me vois pas faire une data room sur un SharePoint, par exemple, car ce serait ingérable. Les niveaux d’autorisation d’accès et le fait de pouvoir suivre qui a consulté quoi, quand sont extrêmement important dans un processus de cession.
Ici, la digitalisation est une vraie force.
DC : Pourquoi nous avoir choisi ?
Agnès C. : Pour notre dossier actuel nous avons demandé aux professionnels impliqués s’ils connaissaient des data rooms et le nom de DealCockpit est sorti. J’avais rencontré Fiona Fauvel lors d’un événement de l’association « Women in Restructuring » : c’était l’occasion de travailler ensemble. Je trouve important de faire travailler une société française et ainsi ce projet entrepreneurial mené par Fiona.
En plus, DealCockpit est un outil à très bonne réputation, qu’il fallait tester et recommander.
DC : Y a-t-il des aspects que nous pouvons améliorer ?
Agnès C. : Peut-être une petite chose technique : Il serait utile de pouvoir sélectionner plusieurs fichiers dans l’arborescence pour pouvoir les allouer aux différentes sections.
DC : Merci pour le feedback. Pour finir, avez-vous un dernier conseil pour les chefs d’entreprise ?
Agnès C. : La clé est d’anticiper, de bien s’entourer et de s’appuyer sur les bons conseils. Ce qui est également important est de travailler avec les bonnes personnes : des consultants, il y en a beaucoup, mais en tant que dirigeant / entrepreneur, on a le droit de dire non, lorsque quelque chose ne convient pas et le consultant doit le respecter.
En tant que consultants, nous apportons un service adapté au client. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il ne correspond pas au besoin et cela n’est pas grave. Je ne suis pas pour gagner de l’argent à tout prix.
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