Interview : Hélène Charpentier, SOLVE


Administration judiciaire | Restructuration | Insolvabilité

Nous nous entretenons avec Hélène Charpentier, administrateur judiciaire et associée chez SOLVE.

Elle nous parle des défis de la restructuration, d'accepter ses limites, et explique pourquoi les administrateurs judiciaires sont les médecins urgentistes du monde de l'entreprise.

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DEALCOCKPIT : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Hélène Charpentier : Je suis administrateur judiciaire, installée depuis 2018, plus particulièrement auprès du tribunal de Nanterre, mais avec une compétence nationale, ce qui me permet d’intervenir un peu partout. L’administration judiciaire est aux côtés des chefs d’entreprises pour les aider à trouver des solutions, pour surmonter leurs difficultés, quel que soit le stade de difficulté, que ce soit en amont, avec des mesures préventives comme la conciliation et le mandat ad hoc, qui ont vocation à négocier avec les créanciers, ou avec des difficultés déjà plus élevées, conduisant à l’ouverture d’une sauvegarde ou, en cas de cessation des paiements, d’un redressement judiciaire, pendant lequel parfois nous leur trouvons un repreneur.


DC : Quel est le rôle spécifique d’un administrateur judiciaire dans ce processus ?

Hélène C. : Ça dépend de la mission qui nous est confiée par le tribunal. Nous sommes désignés pour être aux côtés des dirigeants et entrepreneurs et les aider à prendre des décisions, notamment sur des mesures de restructuration. Par exemple, nous pouvons être amenés à mettre en oeuvre des licenciements pour motif économique si les difficultés sont trop importantes par rapport à l’activité et que l’exploitation nécessite un abaissement des charges. Nous sommes également chargés de suivre les paiements de l’entreprise, de nous assurer qu’elle règle correctement ses obligations postérieures et que celles-ci sont bien en lien avec son activité. Nous devons avoir une vision très précise et fine de la situation de l’entreprise et nous réunir avec le dirigeant régulièrement au fil des mois de la procédure. Ensuite, nous aidons les dirigeants à préparer un plan de remboursement des dettes, ce qui est la première option [en face de ce type de difficultés] et cela peut durer jusqu’à dix ans. Dans ce cas, nous les aidons à revoir leur business plan et à déterminer les capacités de remboursement de l’entreprise. Si cela n’est pas possible, nous cherchons un repreneur. Nous prenons alors contact avec les personnes intéressées, diffusons une annonce, élaborons une dataroom avec les informations utiles, répondons à leurs questions, et ensuite nous analysons les offres pour les présenter au tribunal.


DC : Il est donc bien possible que, pendant un processus comme celui-ci, vous preniez en charge l’opérationnel de l’entreprise ?

Hélène C. : Oui, surtout du côté financier. Cependant, nous n’intervenons pas dans les équipes et les systèmes déjà en place, car nous sommes des généralistes, et non des spécialistes de tous les métiers. Mais nous gardons une vision précise, parfois quotidienne, souvent hebdomadaire, en fonction du degré de nécessité, afin de bien savoir ce qui se passe au sein de l’entreprise, notamment concernant toutes les opérations financières.


DC : Pendant un processus de restructuration, quels sont les principaux enjeux pour les entreprises ?

Hélène C. : Pendant la restructuration, l’enjeu est de conserver une trésorerie suffisante pour couvrir les charges courantes, puisque la solution de restructuration ne se met pas en place du jour au lendemain. On a besoin de quelques mois, 2 à 3 mois au strict minimum, et pendant ce travail, il est essentiel de pouvoir payer les salaires, le loyer, les fournisseurs, etc. C’est donc vraiment un enjeu de cash très important. Ensuite il y a l’enjeu de l’exploitation. En autres termes, si l’entreprise est rentable ou non, et si elle ne l’est pas, pourquoi. Est-ce dû à des conditions de marché particulières ? Y a-t-il eu des investissements qui n’ont pas été rentabilisés ? Enfin, il y a la question de la dette : quel est le montant de la dette, y a-t-il de la marge pour la négociation ? Si cela n’est pas possible, il faudra rembourser les créanciers avec des actifs disponibles.


DC : Selon vous, quelles sont certaines méconnaissances répandues sur le rôle d’un administrateur judiciaire ?

Hélène C. : En France, nous avons la particularité d’avoir deux métiers pour s’occuper des entreprises en difficulté : l’administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire. C’est une spécificité française, et la principale erreur est d’assimiler ces deux professions à un seul métier, celui de liquidateur. Souvent, lorsque l’on apprend ce que je fais, on pense que je ferme des entreprises et je liquide leurs actifs. Ce n’est pas du tout le cas ! Mon rôle ressemble plutôt à celui d’un médecin urgentiste en situation de crise, qui avec son défibrillateur créé l’onde de choc nécessaire à l’entreprise. Parfois, il est nécessaire de faire une amputation d’un côté ou autre, mais en tout cas, mon objectif est de trouver une solution pour sauver l’entreprise. Il ne s’agit pas du tout du métier d’un liquidateur, qui intervient quand il n’y a plus d’espoir et l’entreprise est déjà en fin de vie. La plus grande méconnaissance est donc l’assimilation de ces deux métiers et de considérer l’administrateur judiciaire comme quelqu’un qui arrive trop tard, alors que nous intervenons justement pour trouver des solutions.


DC : Pourriez-vous nous partager un exemple d’un cas particulièrement marquant sur lequel vous avez travaillé ?

Hélène C. : Il y en a nombreux. Il est important de noter qu’un administrateur judiciaire s’occupe simultanément de 30 à 40 entreprises, et que chacune est différente. Il peut s’agir d’une micro-entreprise où le dirigeant fait tout lui-même sans salarié, et son entreprise représente toute sa vie. D’un autre côté, il peut s’agir de grandes entreprises très structurées avec un directeur financier, un directeur des ressources humaines, un directeur informatique, etc., où chacun a son rôle à jouer. Donc, il y a une grande diversité de cas dans tous les secteurs d’activité possibles et c’est aussi un des charmes de mon métier. Quand il s’agit d’une personne physique, l’enjeu de sauver l’entreprise, ici le dirigeant lui-même, est encore plus prégnant. Un exemple que je peux donner est celui d’une infirmière libérale installée à son compte qui, malheureusement, a été victime d’une arnaque concernant un investissement relatif à sa résidence principale et, comme tout a été confondu en un seul patrimoine, ses difficultés personnelles ont engendrées des difficultés pour régler notamment les charges URSSAF de son métier. Dans ce cas, nous n’avons pas pu élaborer de plan de remboursement de la dette, car celle-ci était trop importante, mais nous avons réussi à la convaincre de revenir travailler en tant que salarié. Je l’ai recroisée quelques années plus tard et elle considérait que nous lui avions sauvée la vie en lui permettant de reprendre un travail salarié. J’étais contente de la voir sereine. Elle s’épanouit dans son travail, et surtout sans devoir gérer la partie administrative qui lui ne plaisait pas.


DC : Il y a beaucoup de personnes qui ont une expertise technique extraordinaire dans leur métier, mais qui manquent de connaissances en gestion et en administration pour survivre en tant qu’entrepreneurs ou en tant que société. Êtes-vous d’accord ?

Hélène C. : Tout à fait. Chacun a ses compétences, mais il est important de reconnaître et d’accepter ses limites, et de se faire aider dans les domaines où l’on n’est pas expert.

DC : Pendant un processus de restructuration ou de liquidation, comment garantissez-vous la confidentialité de vos clients et la protection d’informations sensibles de l’entreprise ?

Hélène C. : Nos missions sont de nature judiciaire, ce qui signifie que nous devons rendre des comptes au tribunal. Nous avons des étapes à suivre et des rapports à présenter au tribunal. En ce qui concerne le déroulement de la procédure, les jugements sont publics. Donc, si quelqu’un souhaite savoir si une entreprise est en redressement judiciaire, il peut consulter le site du BODACC (Bulletin Officiel Des Annonces Civiles et Commerciales) et rechercher le nom de l’entreprise pour voir s’il y a des jugements rendus ou non. Nous ménageons à la fois le secret des affaires et les grandes étapes de la procédure, qui doivent être rendues publiques, parce que tous les créanciers sont logés à la même enseigne dès l’ouverture de la procédure. Lorsque nous lançons un appel d’offres, nous faisons signer un engagement de confidentialité pour permettre l’accès à la Data Room et nous nous assurons aussi que nous ne mettons pas d’information nominative sur les salariés, donc il y a un travail de relecture et d’anonymisation des documents.


DC : Comment ce type d’outil professionnel vous aide-t-il dans le processus ?

Hélène C. : Lors de l’appel d’offres pour la recherche d’un repreneur, il est essentiel de justifier que nous avons fait un processus ouvert. On en a besoin pour garantir un processus transparent. Toutes personnes, si l’engagement de confidentialité a été signé, peuvent y avoir accès, et, surtout, ont accès à la même information. De plus, la Data Room permet la traçabilité des échanges de documents et savoir qui a eu accès à quel document.


DC : Vous faites particulièrement confiance à DealCockpit. Pourquoi ?

Hélène C. : Nous utilisons DealCockpit très souvent, car l’outil est simple à utiliser. Au cabinet, nous recrutons régulièrement et nous accueillons de nouveaux stagiaires tous les six mois, et ils sont souvent en appui auprès des collaborateurs. Il est donc essentiel que l’outil soit facile d’utilisation, pour ne pas avoir un besoin constant de formation pendant plusieurs mois. De plus, DealCockpit est fiable – il fonctionne très bien et le support est toujours disponible. Finalement, son coût est abordable, ce qui est important pour nous également. DealCockpit offre un excellent rapport qualité-prix.


DC : Y a-t-il des aspects à améliorer ?

Hélène C. : Actuellement, je reçois des notifications que pour certaines de mes Data Rooms, lorsque les utilisateurs ajoutent des documents, mais je pense qu’il serait préférable que la réception de ces notifications soit activée par défaut, avec la possibilité de les désactiver si nécessaire, plutôt que l’inverse. Par exemple, j’ai une Data Room qui expirera ce soir, et j’y ajoute des documents encore maintenant. J’aimerais que les personnes concernées reçoivent immédiatement ces nouveaux documents, de sorte que tout le monde les ait reçus avant l’expiration de la Data Room ce soir.


DC : Merci pour ce retour. Je vous confirme que le paramétrage par défaut envoi des notifications à tous. Un dernier conseil pour les entrepreneurs ?

Hélène C. : On se rend compte que de plus en plus d’entreprises font appel aux procédures collectives. Si vous regardez les chiffres, le nombre d’entreprises en difficulté a augmenté, même avant la pandémie de la COVID-19, mais la crise a exacerbé la situation. Si vous commencez à constater une baisse significative de votre chiffre d’affaires, il est préférable d’agir rapidement. S’il y a un mot à avoir en tête pour faire face aux difficultés, c’est celui d’anticipation. Je recommande de disposer d’une trésorerie couvrant au moins deux à trois mois de charges courantes, afin de disposer de suffisamment de temps pour réagir. De plus, n’hésitez pas à demander de l’aide ou le conseil d’un professionnel tel qu’un administrateur judiciaire. Un premier rendez-vous gratuit pour des conseils est précieux, et il ne faut pas hésiter à consulter. Plus on vient tôt, meilleures sont les chances de faire face aux difficultés et de trouver une solution.

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